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Festivials culturels panafricains

création du festival Africolor 
 
Chasseurs Maliens rencontrent les Gnawa du Maroc. 
 

 
 
PARIS 
11/12/2002
 
 
Le festival Africolor, qui se déroule chaque fin d'année dans le département de la Seine Saint-Denis, développe les créations entre les artistes venant d'horizons et de cultures différentes. Cette année, c'est une rencontre entre deux "familles", celle des chasseurs de Bamako et les musiciens gnawa de Marrakech qui fait l'événement. 
 
Après une première rencontre lors du festival d'Essaouira en juin 2000, Sibiri Samaké, chanteur malien à la voix rauque et puissante et le maâlam Brahim El Belkani ont décidé d'aller plus loin en créant "Wijdan" (la rencontre des âmes). C'est à Marrakech que se sont déroulées les premières répétitions. Reportage. 
 
La place la plus célèbre du Maroc s’appelle Djamaâ-el-Fna, place de l’Éternité en français. Elle se trouve à Marrakech, ancienne capitale du royaume. L’après-midi, elle grouille de monde: touristes, désœuvrés, conteurs, charmeurs de serpent, charlatans en tous genres, vendeurs d’orangeade, rôtisseurs de tête de mouton, musiciens s’y côtoient. Les musiciens sont souvent jeunes, forment des groupes de trois ou quatre joueurs de ganga - un gros tambour - de qraqebs - grandes castagnettes métalliques- .  
 
Ils font de rapides mouvements circulaires avec leurs têtes pour faire tournoyer le pompon au sommet de leur chéchia. Ils sautillent, sourient et tendent leur calotte aux passants étrangers. Ils jouent aux gnawa, les musiciens thérapeutes détenteurs de mystères ancestraux. Ce sont les deux facettes de la musique gnawi (ou gnaoui, gnawa ou gnaoua au pluriel), le vaudou musulman, un peu secret, un peu dévoyé, avec ses véritables maâlams, maîtres, riches et craints, ses petits arnaqueurs traquant la moindre piècette touristique. Parfois, l’aristocratie des musiciens gnawa ne daignent pas animer les restos huppés fréquentés par le tourisme haut de gamme. 
 
Le maâlam Brahim El Belkani est l’un d’entre-eux. Il n’aime pas parler de cet aspect de son métier qui doit être, selon la tradition, la vocation de désenvoûter les possédés, d’apprivoiser les esprits, les djinns, les génies maléfiques. Mais maâllam Brahim a fusionné à plusieurs reprises son art mystique avec quelques riffs d’icônes rock tels Robert Plant et Jimmy Page de l’ex-Led Zeppelin, avec les chorus pianistiques du jazzman Randy Weston, ami new-yorkais de longue date des gnawa marocains, avec les poses méditatives de Ravi Shankar ou encore la poésie musicale de quelques figures tutélaires de la chanson française comme Jacques Higelin, Claude Nougaro. Aujourd’hui, Brahim El Belkani croise son hajouj, instrument de la famille du guembri, la basse vrombissante, avec le donzon n’goni, la harpe sans âge de Sibiri Samaké, chroniqueur de la geste des chasseurs maliens.  
 
Leur affaire remonte à juin 2000 quand les deux hommes et leurs clans respectifs ont joué ensemble au festival d’Essaouira, l’ex-Mogador, ville forteresse construite par les Portugais sur la côte Atlantique du Maroc, balayée par mille vents adorés par les véliplanchistes. Elle est aujourd’hui capitale maghrébine de la musique gnawi, à deux heures de route de Marrakech. Sœur africaine de La Rochelle, elle fut le débouché maritime du Mali de Djéné et de Tombouctou quand on y commerçait épices, ivoire, étoffes, esclaves... «Ô Dieu notre Maître/Ô Maître ne n’oublie pas/ Mbara [l’esclave noir] est voué à la misère/Ma maîtresse mange de la viande/Mon maître mange de la graisse/Mbara ronge l’os/Voici le destin du pauvre nègre», chantent encore les maâlems quand ils reprennent Ouled Bambara (enfants de Bambara). 
 
A Essaouira, Sibiri Samaké n’en revenait pas de découvrir que sa musique de chasse était si proche de celle du musicien guérisseur Brahim El Belkani. Que les gnawa chantaient même des paroles en bambara mais qu’ils ne comprenaient pas. Brahim et Sibiri ont donc joué ensemble. Naturellement. 
 
«Le guembri et le n’goni sonnent presque pareil. Les gnawa, leur force, c’est la terre, les chasseurs maliens, c’est le ciel», dit Sibiri Samaké, lunettes jaunes sur le nez, cigarette blonde entre les doigts, assis au fond d’un paisible jardin protégé par de hauts murs des clameurs de la médina, le cœur historique de Marrakech. C’est la maison de Denise Masson (1900-1994), traductrice dans les années 60 du Coran, installée au Maroc dès 1938. Elle a légué son immense maison à l’Institut français qui la met régulièrement à la disposition de diverses créations artistiques. Aujourd’hui, le riad, maison avec jardin intérieur, cette petite Villa Médicis nord-africaine, accueille la rencontre artistique de Sibiri Samaké et Brahim El Belkani. Ils y répètent Wijdan. Le directeur artistique est Eric «Loy» Ehlrich, compositeur français passionné de fusions musicales, ami de Brahim depuis 1974:«Je connais le Maroc depuis 1971. Il y avait beaucoup de hippies. Le gouvernement a fini par y mettre le hola en en jetant quelques-uns en prison et en virant tous les étrangers. Moi, je viens de la musique classique. C’est le guembri et les qraqebs qui m’ont décidé. Depuis, je fais régulièrement écouter des cassettes de musiques africaines à Brahim. Je suis là pour créer un répertoire, mettre du relief entre la musique de Sibiri et celle de Brahim».  
Sibiri psalmodie seul au donzon n’goni une longue intro. Brahim, les doigts maculés de henné protecteur, le rejoint au hajouj dont il fait vibrer les trois cordes grasses. Sibiri poursuit sa plainte. Le reste de la troupe les rejoint, animé par le même feu. 
 
«Nous demandons pardons aux bêtes. Nos chants disent qu’il ne faut pas abattre telle bête à tel moment parce qu’elle est enceinte. Nous disons qu’il y a des animaux qui soignent. Je suis moi-même un tradithérapeute, un médecin traditionnel. Je suis le seul diplômé malien en la matière sur un concours africain de 800 candidats organisé au Mali», dit Sibiri. Né en 1962 dans un hameau malien, il est parti à quinze ans sur les routes pour «connaître les plantes, les animaux, rencontrer des maîtres». Il arrive à Bamako sans rien, dort dans la rue, au marché. «J’ai tout fait sauf mentir et voler», raconte Sibiri qui a été chauffeur, dessinateur et même champion de boxe poids coq du Mali. «Mais ma mère ne voulait pas que je boxe», précise-t-il, lui, le fils d’une grande artiste de plus de 90 ans, Nango Bagayoko, et de Djiomodié Samaké, parrain des chasseurs disparu à 106 ans, «le même jour que Mao-Tsé-Toung», précise Sibiri qui a appris tout seul les paroles que déclamaient ses parents. 
 
Brahim, lui, est né en 1945 à Marrakech. Il ne descent pas de famille gnawi. Il a forcé les siens pour devenir gnawi:«Mon père, Mohamed Belhabib, qui a disparu à 71 ans en 1971, jouait de la musique dekka. Il était taleb, lettré religieux, alors que ma mère suivait le dhikr, le chant soufi. J’ai appris à jouer en secret sur un petit guembri. Mes frères ne voulait pas de ça. Mais j’avais ça dans le sang. J’ai été initié à la mystique gnawi par un copain de mon père. El Mahjoub fut mon premier maître. C’est vers mes dix huit ans que les maâlems m’ont accepté parmi eux quand le maâlem El Mahjoub me donne son propre guembri pour jouer devant tout le monde. J’avais une peur bleue». 
 
Sibiri, acompagné de ses enfants biologiques et adoptifs, Brahim de sa progéniture et de ses disciples jouent lentement, attentifs. Brahim commence avec son hajouj, il invoque Allah, quelques saints et des esprits bambaras. Sibiri le suit avec son donzon n’goni, les jeunes s’y mettent. Ils se lèvent, dansent. La musique s’accélère, devient véhémente. Les qraqebs crépitent comme les claquements de mains, le karignan malien - reco-reco métallique - est vivement frotté. C’est le tourbillon. Le vertige semble profane. Le propos est mystique. 
 
"Wijdan" sera présenté en première mondiale le vendredi 13 décembre à 20h30 au Centre Dramatique National de Montreuil, puis le 20 décembre au Cap à Aulnay-sous-Bois et le 21 décembre au Théâtre Gérard Philippe de Saint-Denis. 
 
Bouziane Daoudi 
SOURCE 
http://www.rfimusique.com/musiquefr/articles/060/article_14357.asp 

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